Lire entre les lignes : extraire l’information importante des comptes-rendus des médias sur la recherche sur le cancer de l’ovaire
25 juillet 2013
Par la Dre Barbara Vanderhyden
Toutes les semaines, les médias font état de nouvelles recherches qui vantent les mérites d’aliments ou de produits de santé naturels qui peuvent réduire le risque de cancer. On semble avoir découvert des liens entre la bière, le thé, le vin, les produits laitiers, le ginkgo et le cancer de l’ovaire. Comment doit-on interpréter ces découvertes? Comment savoir si vous devez boire plus de thé vert ou commencer à prendre du ginkgo?
Comprendre les rapports scientifiques
Pour juger de l’importance de ces rapports, il est utile de posséder des connaissances de base sur la façon dont cette information est produite. La recherche scientifique commence par une hypothèse ou une nouvelle idée que les chercheurs désirent vérifier. Les recherches en laboratoire, aussi appelées recherches fondamentales ou recherches scientifiques, étudient les effets d’une substance sur les cellules. Si ces études donnent des résultats prometteurs, la recherche passe à l’étape de tests sur des animaux. Si la recherche sur des animaux révèle que la substance fonctionne et est sécuritaire, les tests peuvent passer à l’étape suivante, soit les essais cliniques sur des humains.
Contrairement aux études en laboratoire, les études épidémiologiques examinent les facteurs qui touchent la santé des populations pour déterminer s’il existe un lien possible entre certains aliments ou comportements et l’incidence de la maladie. Ces études peuvent être très informatives, mais elles ont plusieurs limites potentielles. Plus particulièrement, il est important de comprendre que ces études peuvent simplement révéler une association (données corrélatives). Une étude épidémiologique ne peut pas prouver qu’un aliment ou un comportement particulier a un effet. Elle peut seulement déterminer qu’il existe un lien possible. Pour prouver qu’une substance a un effet, elle doit faire l’objet de tests particuliers dans le cadre d’études en laboratoire et d’essais cliniques.
La taille a de l’importance!
Dans toutes les études, la taille de la population étudiée est un facteur important dont il faut tenir compte. Plus une étude compte un grand nombre de volontaires, plus ses résultats sont valides et fiables. Des études portant sur des milliers de personnes sont plus susceptibles de produire de l’information exacte que des études portant sur un petit échantillon. L’étude Million Women Study, une étude de grande envergure lancée en 1996 au Royaume-Uni et à laquelle ont participé plus d’un million de femmes de 50 ans et plus illustre bien l’importance de la taille de l’échantillon. Son principal objectif était de déterminer les effets de l’hormonothérapie de remplacement (HTR) sur la santé des femmes.
Plus d’une femme sur quatre du groupe d’âge cible au Royaume-Uni a participé à cette étude, ce qui en fait la plus importante du genre au monde. Cela signifie également que ses résultats ont beaucoup de poids. La seule autre étude comparable est la Women’s Health Initiative, un programme de recherche important d’une durée de 15 ans lancé en 1991 aux États-Unis dans le but de tester les effets de l’hormonothérapie de remplacement et du changement du régime alimentaire sur la santé de plus de 160 000 femmes post-ménopausées.
Le volet HTR de l’étude a été interrompu prématurément parce que les risques pour la santé excédaient les avantages, notamment parce que les résultats suggéraient un risque plus élevé de cancer du sein invasif. Cette conclusion était appuyée par les résultats de l’étude Million Women Study, qui révélait que le recours à l’HTR était associé à un risque accru de l’incidence du cancer du sein et de décès. Ces résultats, qui provenaient d’études portant sur un échantillon de femmes très important, ont entraîné des modifications dans les lignes directrices pour l’utilisation de l’HTR dans plusieurs pays.
Malheureusement, l’interruption prématurée de l’étude Women’s Health Initiative n’a pas permis de tirer de conclusions claires pour le cancer de l’ovaire, mais les deux études démontraient une légère augmentation des cas de cancer de l’ovaire à la suite de l’utilisation d’une hormonothérapie de remplacement associant l’œstrogène et la progestérone. Les femmes qui utilisaient alors l’HTR couraient 1,2 fois plus de risque, ce qui équivaut à un cas de cancer de l’ovaire supplémentaire sur 5 ans pour chaque tranche de 2500 femmes suivant une HTR. Étant donné la faible augmentation du cancer de l’ovaire chez les utilisatrices de l’HTR, tous les rapports s’entendent pour recommander d’envisager les résultats en tenant compte des risques et des avantages plus importants de l’HTR.
Facteurs de confusion
Un facteur de confusion est un facteur qui peut inciter les chercheurs à tirer des conclusions erronées, s’ils n’en tiennent pas compte. Lorsque l’on évalue les risques de cancer, des facteurs de risque bien connus, comme l’âge et le tabagisme, devraient être inclus à titre de facteurs de confusion potentielle. Dans certains cas, les facteurs de confusion sont moins clairs, par exemple dans les études sur les composants du régime alimentaire mesurés de façon isolée (caféine, thé, vin, certains légumes ou produits laitiers). Les gens consomment rarement un aliment ou une boisson indépendamment d’autres aliments ou boissons et les composants de ces aliments et boissons subissent des interactions dans l’appareil digestif qui peuvent modifier leurs attributs positifs ou négatifs. Les produits de santé naturels ne font pas exception à la règle. Leurs interactions avec d’autres composants du régime alimentaire sont encore moins bien connues. Les études devraient tenir compte des facteurs de confusion lorsqu’ils sont connus, mais il faut toujours être conscient que certains facteurs inconnus peuvent entraîner une interprétation erronée des résultats d’une étude.
Le houblon pourrait prévenir le cancer!
Les communiqués de presse visent à attirer l’attention du public sur une étude et peuvent exagérer les résultats ou leur incidence potentielle. Les comptes-rendus des médias se basent souvent sur les communiqués de presse et peuvent les adapter pour faire passer un message particulier, ce qui risque d’augmenter le niveau d’inexactitude. Un article qui annonce que « Le houblon pourrait prévenir le cancer » attire sans doute votre attention, mais devrait-il vous inciter à augmenter votre consommation de bière pour tenter de réduire votre risque de cancer de l’ovaire? Absolument pas! Si vous lisez les détails de l’étude originale, vous découvrirez que les flavonoïdes que l’on retrouve dans le houblon (utilisé pour fabriquer de la bière) sont toxiques pour les cellules de cancer de l’ovaire dans une boîte de Pétri. Il s’agit d’une étude en laboratoire aux toutes premières étapes des essais scientifiques. Des études de ce genre nécessitent des analyses beaucoup plus approfondies avant de justifier des modifications du régime alimentaire ou des traitements.
Autre exemple : une étude épidémiologique de cohorte en Suède a examiné le régime alimentaire de femmes pendant 15 ans et a conclu que boire au moins deux tasses de thé vert ou noir par jour réduisait le risque de cancer de l’ovaire de 46 %. L’étude a démontré une relation dose-effet, ce qui signifie que deux tasses sont préférables à une seule, que trois tasses valent mieux que deux et ainsi de suite. Afin de déterminer à quel point il faut prendre ces conclusions au sérieux, il est important de pondérer les risques et les avantages. Dans le cas du thé, la plupart du temps les avantages de boire davantage de thé pour réduire le risque de cancer de l’ovaire l’emportent sur les risques.
Pour tous les comptes-rendus de médias, il est important de comprendre et de pondérer les risques et les avantages avant de changer de façon drastique son alimentation ou son comportement.
Le mois prochain : Percées de la recherche dans le domaine de la prévention du cancer de l’ovaire.
DrE Barbara Vanderhyden
La Dre Barbara Vanderhyden est professeure à l’Université d’Ottawa et chercheure principale à l’Institut de recherche de l’hôpital d’Ottawa. Première titulaire de la Chaire de recherche Corinne Boyer sur le cancer de l’ovaire, elle dirige un programme de recherche sur le cancer de l’ovaire et met sur pied des réseaux et des ressources pour augmenter le nombre de recherches sur le cancer de l’ovaire au Canada. Elle est membre du conseil d’administration de Cancer de l’ovaire Canada et présidente du comité de recherche. La Dre Vanderhyden a reçu de nombreux prix pour ses recherches et pour son mentorat auprès de jeunes scientifiques.